Le Touat une région très disputée
Ce deuxième axe sera consacré à l’étude des rapports de soumissions/pouvoirs qui ont jalonné l’histoire de cette zone objet de toutes les convoitises. Si la colonisation a définitivement rattaché la région à l’Algérie, elle a longtemps été dans la mouvance du Maghreb occidental. C’est ce que suggèrent largement les chroniques locales. Elles présentent d’abord le Touat, dès le VIIIe s., dans la mouvance de l’émirat de Sijilmassa. Le destin de la région reste ensuite étroitement lié à cette cité caravanière et aux pouvoirs politiques qui s’y succèdent entre le XIe et le XIIIe s. : Almoravides puis Almohades. À partir du XIIIe s. les rapports avec les pouvoirs sultaniens du Nord se compliquent, Sijilmassa faisant l’objet d’une âpre compétition entre Mérinides de l’ouest, ‘Abdalwadides du Maghreb central et Hafsides d’Ifrîqiya ; mais là encore le Touat semble toujours plus étroitement lié au nord-ouest région avec laquelle les échanges, liens, influences se retrouvent à différents niveaux.
Mais ces chroniques dont la plus ancienne remonte au XVIe s sont en fait le résultat d’une mise par écrit, par les lettrés du Touat, de traditions orales véhiculées sur la région, traditions qui rattachent surement de manière un peu volontaire le passé du Touat à l’histoire des dynasties musulmanes. Si ces rattachements aux grands ensembles politiques du Maghreb médiéval et moderne sont encore à écrire, il faut souligner que d’autres sources suggèrent, au moins à partir du XIIIe s., des contacts également étroits avec l’ensemble des capitales du nord : les sources juridiques de la région ainsi que les responsa en hébreu laissent entendre que des liens étroits existaient également avec Tlemcen ou Tunis notamment via les réseaux de savants. Ces chroniques gomment par ailleurs totalement les rapports de la région avec le Mzab et les communautés ibadites de cette région que traverse la route venant de l’Ifrîqiya jusqu’au Touat. L’absence quasi totale de traces des relations et avec cette minorité religieuse et des influences qu’elle a pu avoir semble due à l’établissement d’une puissante orthodoxie sunnite. Une confrontation avec les recherches en cours sur le Mzab dans le cadre du projet ANR Maghribadite coordonné par Cyrille Aillet sera, à ce sujet, intéressante à plus d’un titre.
Au niveau local il faut aussi insister sur les nombreuses périodes d’autonomie : il est indispensable d’étudier les rapports entre les tribus nomades, parfois venues du nord sous l’impulsion ou la menace des pouvoirs sultaniens, et les communautés sédentaires. Quelques lettres de soumission de ksouriens à des cheikhs de tribus ont également été exhumées ou recopiées dans des chroniques (comme cette lettre de 1394 citée par Ibn Hachem m. 1705) et suggèrent une gestion politique dominée par l’allégeance des ksour à des tribus bédouines nomadisant dans la région : en échange du paiement d’un tribut, les groupes bédouins assurent la protection des oasiens sur place et la sécurité des déplacements des caravanes de marchands et donc le maintien de la prospérité économique des marchés régionaux. Les traditions orales permettent également de s’interroger sur les unités sociales du Touat qui ont vécu aux marges des pouvoirs centraux ; elles s’appuient en effet essentiellement sur les lieux, les lignages et les personnages emblématiques.
Une réflexion sur l’imbrication entre les échos régionaux de l’histoire des dynasties maghrébines et une gestion politique locale nécessite de confronter les sources écrites et les sources orales sur la région.