Circulation, espaces et réseaux
Un troisième axe aborde la question centrale d’une circulation entraînant la mise en contact d’acteurs multiples (oasiens, nomades, marchands et savants) et de marchandises. Les populations oasiennes se sont constituées au gré de cette circulation : les groupes berbères implantés, qu’ils soient judaïsés ou islamisés, ont été progressivement rejoints par les vagues de tribus berbères et arabes du nord et les migrations forcées de populations noires. Toutes ces populations jouèrent un rôle de premier plan dans le développement des oasis qui purent devenir d’importants lieux de productions de denrées alimentaires. Ces cultures vivrières participèrent à la mise en place d’une économie de subsistance mais permirent également de commercialiser les surplus et de développer les cultures vouées au commerce extérieur. En prenant leur place dans les échanges nord-sud, les productions locales ont participé à articuler ces ksour au commerce de longue distance. Les oasis du Touat sont également devenues des lieux d’étape pour les caravanes, des points de rupture de charge, des espaces de stockage et d’échange de marchandises.
Les études sur le commerce transsaharien, entamées par Coudray à la fin du XIXe, ont été rouvertes par J. Devisse dans les années 70. Elles sont pourtant restées peu nombreuses et surtout consacrées aux circuits commerciaux. Elles ont été récemment relancées par J. Scheele (2010 et 2012) grâce à l’étude de corpus d’archives locales. Il s’agit désormais de mettre en valeur l’intégration de l’Afrique à l’économie méditerranéenne et européenne grâce à ces axes transsahariens et aux relais oasiens notamment ceux que constituent les ksour du Touat. Ce sont les ibadites qui mirent en place, du début du VIIIe s. au XIe s., les éléments constitutifs de ce négoce. Le Touat émerge à partir de la fin du XIe s., notamment l’oasis de Bouda, ensuite supplantée par Tamentit. Le Touat devient un véritable carrefour au début XIIIe s., quand les souverains du Mali, décident d’en faire l’une des étapes-relais de leur route du pèlerinage à la Mecque. D’abord en concurrence avec l’axe Sijilmasa-Walata, la route Touat-Tombouctou devient, avec le pèlerinage de Mansa Musa en 1324, un axe important, puis central avec la chute de Sijilmasa à la fin du XIVe siècle.
Nous souhaitons étudier comment s’articule la sauvegarde du local et l’insertion à un système d’échanges élargis : les échanges régionaux basés sur l’exploitation des ressources locales (notamment les dattes) et les échanges commerciaux transsahariens qui mettent le Touat en relation avec les empires du Mali (XIIIe-XIVe) puis du Gao (XVe-XVIe) d’où arrive or, ivoire, sel et esclaves, et avec le Nord qui fournit artisanat (tissus, foulards, colliers de perles…), épices notamment le safran, chevaux et armes.
Là encore les manuscrits de la région, surtout les textes juridiques et les récits de voyages seront au cœur de nos investigations. De nombreux documents conservés en dehors du Touat viendront compléter ce dossier notamment les lettres de commerçants conservées à la Genizah du Caire, les responsa rabbiniques et les chroniques soudanaises.
Mais ces questions doivent être abordées à travers une démarche qui mette en regard ces textes et l’étude archéologique de la configuration des espaces commerciaux des ksour : les greniers fortifiés, les silos, les étables souterraines aménagées dans des cavernes naturelles mais aussi les espaces liés aux stationnements des caravanes commerciales et aux marchés.
Une telle approche nous permettra d’évaluer les interactions entre des acteurs locaux (agriculteurs, dépositaires, revendeurs, notaires) et les réseaux marchands.